Émulations. Enfances à l’école
Un numéro d’Émulations. Revue de sciences sociales, qui paraîtra début 2019 aux Presses universitaires de Louvain, sera consacré au thème «Enfances à l’école», sous la direction de Frédérique Giraud (Centre Max Weber, ENS de Lyon).
Argumentaire
L’enfance est un âge biologique indubitablement social, construit culturellement et historiquement, avant d’être un fait de nature (Court, 2017). Le temps de l’enfance fait l’objet d’un travail spécifique d’inculcation et de socialisation à l’intersection des sphères familiales et scolaires. Il est jalonné d’interventions diverses qui en font un moment stratégique dans l’acquisition et l’incorporation de normes et valeurs culturelles et sociales (langagières, corporelles, comportementales…) que les enfants apprennent à maîtriser. Dans ce travail de façonnage, les institutions éducatives jouent un rôle de premier plan, différencié selon les contextes locaux, la composition du public, les attentes des familles et les parcours des acteurs. Lieu de vie et de socialisation hebdomadaire des enfants et des personnels, les institutions éducatives participent à la construction de façons de voir et de penser des enfants. Comprenant les institutions éducatives comme « des phénomènes culturels à part entière » (Riesman, 1991), ce dossier souhaite étudier les manières dont ces dernières, par l’intermédiaire des acteurs qui les incarnent, pensent les enfants et les enfances, en étudiant de près leurs caractéristiques et les pratiques concrètes des acteurs éducatifs. Par-dessus tout, il s’agira de réussir à documenter la variabilité (géographique et culturelle) des principes de scolarisation en Europe en s’attachant à des études montrant la diversité des attentes des acteurs vis-à-vis de l’école, ainsi que les contours variés des pratiques et des représentations concernant la pédagogie et l’enfance.
Ces interrogations recoupent mais ne recouvrent pas les enjeux occupant les sociologues de l’éducation depuis de nombreuses années. La focale que nous proposons, résolument ouverte au croisement des points de vue disciplinaires, ne vise pas seulement à (re)documenter les inégalités sociales d’apprentissages, mais à donner à voir, en étudiant les terrains scolaires de l’intérieur, la façon dont les institutions et les acteurs de l’éducation contribuent à façonner des mondes pluriels de l’enfance. Des études comparatives seront donc les bienvenues. L’ambition d’un tel dossier est d’interroger et de confronter le travail de socialisation, pluriel et non concordant (Delay, Frauenfelder, 2013) de tous les acteurs intervenants auprès des enfants dans les institutions éducatives : enseignants, personnel du soin, médecin, pairs et parents. D’une école à l’autre, aux mêmes âges biologiques, les enfants ne sont pas les mêmes et ne vivent pas leur enfance dans les mêmes conditions. L’objectif est d’éclairer la façon dont les conditions de scolarisation participent à cette construction différenciée des enfants et à la coexistence de mondes enfantins pluriels.
Nous proposons les axes de travail suivants, tout en restant ouverts à d’autres suggestions n’entrant pas dans ces axes :
1. Enfants de classes à l’école : attentes, représentations et pratiques
Parce que l’école constitue un espace de socialisation complémentaire, concurrent ou parfois contradictoire avec le milieu familial, au sein duquel les enfants vivent des temps longs chaque semaine, qu’ils y construisent des manières de penser et d’agir, il est intéressant de savoir comment ceux-ci parlent de leur école et de ce qu’ils y vivent. Des contributions donnant à voir les points de vue des enfants sur l’école, leurs éducateurs et leurs pairs permettront d’explorer des façons de vivre son enfance à l’école, en étant attentives à la fois aux appartenances sociales objectives des enfants, de leurs familles et de leurs éducateurs ainsi qu’aux logiques résidentielles et symboliques différenciant leurs espaces de vie.
S’intéresser aux enfances à l’école consiste aussi à analyser les conditions des choix du type d’école fréquenté (Joannin, Salaméro, Mennesson, 2013) (« école publique » de proximité, école privée, école à pédagogie nouvelle – Montessori, Freinet, Steiner) comme les choix de non-scolarisation portés par des acteurs familiaux, dont certains ont pu montrer qu’ils agissent comme des consommateurs d’école (Ballion, 1982), plus ou moins informés et dotés de capitaux et ressources inégales. Des articles pourront s’intéresser aux effets des socialisations différenciées, en amont et au sein des écoles, qui interagissent avec la mobilité scolaire (Dauphin, Verhoeven, 2002), le choix des activités pratiquées, le choix des conseils à retenir (enseignant, animateur, psychologue scolaire, professionnels médicaux), etc. La prise en compte de la diversité pédagogique s’offrant aux parents, et des choix s’y rapportant, permettra de donner à voir des écoles et des enfances qui ne se déroulent pas dans les mêmes « mondes » (Lahire, 2012). Sont attendues des contributions donnant à voir la façon dont, dans l’espace francophone, les enjeux scolaires se vivent et se pensent différemment (Delay, 2011).
2. Enfances et savoirs : pédagogies plurielles à l’œuvre
L’attention portée aux pluralités des formes pédagogiques prescrites et mises en œuvre permettra de montrer comment celles-ci sont porteuses de visions de l’enfance contrastées. L’intérêt croissant des parents dotés de capitaux culturels pour les pédagogies nouvelles d’inspiration Steiner, Freinet ou Montessori et la naissance de l’offre pédagogique qui accompagne la demande doivent être étudiés afin de mettre au jour la pluralité des styles éducatifs (Kellerhals, Montandon, 1991), la variabilité de leur mise en œuvre et plus profondément la façon dont elles contribuent à faire des enfants les pivots et acteurs des mondes éducatifs. Des contributions s’intéressant aux méthodes et conceptions pédagogiques des enseignants et autres acteurs en charge des apprentissages des enfants seront particulièrement appréciées. Autant que possible, les articles proposés documenteront les ressorts sociaux de l’agencement différencié des pratiques pédagogiques.
3. Enfances et jeux
Entre leur « vocation » ludique et la contrainte pédagogique (Vincent, 2001), les jeux sont pensés comme des instruments d’organisation des expériences des enfants, devant contribuer à leur développement et permettre leur appropriation du monde. Ainsi peut-on parler de « pédagogie du jeu » (Chamboredon, Prévost, 1973) ou d’« éducation ludique » (Brougère, 1997). Entre ces deux pôles, les articles pourront questionner la place, les fonctions et formes différenciées du jeu selon les pédagogies tout en prenant en compte leur plus ou moins grande distance aux usages du jeu familial, sans oublier les rapports sociaux d’âge et de genre. Des articles se mettant à hauteur d’enfant pourront questionner leurs usages des jeux, détournés ou inventés, et leurs représentations concernant ces derniers.
Ce dossier intitulé « Enfances à l’école » permettra par des regards croisés sur des systèmes éducatifs différenciés de donner à voir la variation des savoirs et des savoir-faire autour des enfances à l’école, la pluralité des manières d’être enfant en analysant des pratiques et des relations enfantines socialement différenciées et situées dans l’espace social scolaire et extra-scolaire.
Calendrier
20 mars 2018 : date limite pour l’envoi des propositions d’articles
30 mars 2018 : communication des décisions aux auteur·e·s
15 juin 2018 : envoi des manuscrits V1 (25 000 – 30 000 signes)
30 juillet 2018 : retour des évaluations aux auteur·e·s
30 septembre 2018 : envoi des manuscrits V2
30 octobre : retour des évaluations aux auteur·e·s
30 novembre 2018 : envoi de la dernière version des manuscrits à la revue
Février 2019 : publication du numéro papier et mise en ligne
Conditions de soumission
– Les contributions pour ce numéro devront être basées sur une restitution fine et détaillée de données d’enquêtes de terrain tout en proposant une réflexion méthodologique et théorique sur les questions ici posées.
– Envoi d’une proposition d’article de 1.000 mots comprenant le titre, le résumé de l’argument, la nature du corpus et des indications méthodologiques ainsi qu’une notice biographique comprenant la discipline et le statut professionnel de l’auteur.
– À envoyer pour le 20 mars à frederique.giraud@ens-lyon.fr et à redac(at)revue-emulations.net
Bibliographie
Bernstein B. (1975), Langage et classes sociales, Paris, Éditions de Minuit.
Bertrand J., Mennesson C., Court M., (2014), « Des garçons qui n’entrent pas dans le jeu de la compétition sportive : les conditions familiales d’une atypie de genre », Recherches familiales, n° 11, p. 85-96.
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Brougère G. (1997), « Jeu et objectif pédagogique », Revue française de pédagogie, n° 119, p. 47-56.
Caille J. P., Rosenwald F. (2006), « Les inégalités de réussite à l’école élémentaire : construction et évolution », France, portrait social, édition 2006, INSEE, p. 115-138.
Chamberedon J-C, Prévost J. (1973), « Le “métier d’enfant” : définition sociale de la prime enfance et fonctions différentielles de l’école maternelle », Revue française de sociologie, vol. 14, p. 295-335.
Court M. (2017), Sociologie des enfants, Paris, La Découverte.
Dauphin N.,Verhoeven M. (2002), « La mobilité scolaire au cœur des transformations du système scolaire », Cahiers de recherche du GIRSEF, n° 19.
Delay C. (2011), Les classes populaires à l’école. La rencontre ambivalente entre deux cultures à légitimité inégale, Rennes, Presses universitaires de Rennes,
Détrez C., Octobre S., Mercklé P., Berthomier N. (2010), L’enfance des loisirs. Trajectoires communes et parcours individuels de la fin de l’enfance à la grande adolescence, Paris, La Documentation française.
Delay C., Frauenfelder A. (2013), « Ce que “bien éduquer” veut dire. Tensions et malentendus de classe entre familles et professionnels de l’encadrement (école, protection de l’enfance) », Déviance et Société, vol.°37, n° 2, p. 181-206.
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kellerhals j., montandon c. (1991), Les stratégies éducatives des familles, Lausanne, Delachaux/Niestlé.
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Mennesson C., Juhle S. (2012), « L’art (tout) contre le sport ? La socialisation culturelle des enfants des milieux favorisés », Politix, n° 99, p. 109-128.
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Stubbs M. (1983), Langage spontané-Langage élaboré.. Parole et différences à l’école élémentaire, Paris, Armand Colin.
Terrail J.-P. (2013), Entrer dans l’écrit : Tous capables ?, Paris, La Dispute.
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Wagner A.-C. (2012), « L’internationalisation de la formation des élites : vers une recomposition des classes dirigeantes ? » in M. D. Gheorghiu (dir.), La Mobilité des élites. Reconversions et circulation internationale, Iasi, Editura Universitatii Alexandru Ioan Cuza, p. 79-96.